Machiavel, c’est l’histoire d’un type qui a tout compris aux magouilles politiques — et cela, bien avant vous, bien avant moi et bien avant n’importe quel conseiller politique.
Si son nom ne vous dit rien, pas de panique. Vous avez peut-être déjà entendu l’adjectif « machiavélique » ? Eh bah bingo, ça vient de lui. Et la définition associée à son nom n’est pas très glorieuse.
Machiavelisme = attitude politique qui fait abstraction de la morale, qui valorise une conduite sournoise, violente, ainsi que la manipulation d’autrui.
Rassurez-vous, Machiavel est un gentil. C’est juste le premier homme a avoir analysé puis théorisé l’utilisation de la cruauté en politique. Il a tout résumé dans son livre Le Prince (à interpréter aujourd’hui comme « Le Président ») qu’il a écrit en 1513.
Et pour la petite histoire, on dit même que son bouquin est le livre de chevet de tous nos hommes politiques actuels, mais aussi des grands patrons, car ce livre contient plein de recettes pratiques pour gagner et conserver le pouvoir.
Alors qu’est-ce que Machiavel donne comme conseils à l’homme politique ?
Pour Machiavel, la politique c’est l’art de bien gérer la cité, mais aussi celui d’apprendre à se maintenir au pouvoir.
Pour y parvenir, Machiavel nous dit que l’homme politique doit imiter le comportement des animaux. Étrange hein ? Pas tant que ça en fait. Ce qu’il veut dire par là, c’est que c’est grâce à notre côté animal que nous pouvons gouverner les hommes, et non grâce à notre côté humain car la raison est moins puissante que les instincts (= partie bestiale en chacun de nous).
Alors, pour gouverner, le Prince/Chef d’État doit être à la fois lion et renard :
- Le lion, symbole de la force : il impressionne, frappe l’imagination et impose le respect. Cette force est nécessaire pour se protéger des ennemis, et donne un sentiment de sécurité au peuple.
- Le renard, symbole de ruse : il représente un dissimulateur, un manipulateur qui va détourner le regard du peuple vers l’inessentiel pour préserver les apparences.
Le Prince est donc cet homme hors du commun, qui maîtrise totalement sa double nature humaine et animale.
Mais le Prince doit bien avoir d’autres qualités pour gouverner non ?
Mais oui ! Vous vous doutez bien qu’il ne peut pas uniquement se contenter d’enfiler un costume de lion et de renard pour gouverner.
1. Le Prince doit savoir saisir l’occasion
Il doit saisir le Kaïros (καιρός si jamais vous lisez le grec), c’est-à-dire le moment opportun qui lui permettra de se hisser jusqu’au pouvoir.
Mais pour cela, le Prince doit aussi faire preuve d’une puissante capacité d’analyse, pour voir si les circonstances sont favorables à sa prise en main du pouvoir — il est plus facile de prendre le pouvoir lorsque le peuple est mécontent de son gouvernement, par exemple.
2. Le Prince doit savoir paraître
Machiavel insiste beaucoup sur l’image du Prince. Pour lui, il ne s’agit pas d’être bon, mais de paraître bon.
Il part du principe que les rapports humains ne sont pas lucides (= contrôlés par la raison) mais affectifs, le Prince doit alors utiliser l’affect pour gagner la faveur du peuple. Il doit manipuler la conscience morale des hommes, en donnant de lui une image positive et attractive — car nous pensons tous que ceux qu’on aime agissent forcément bien.
Et pour cela, ruses et manipulation en tout genre sont des outils efficaces : il faut sauver les apparences et savoir être dissimulateur, car, au final, le peuple voit ce qu’il veut bien voir.
Conclusion : la légitimité du Prince lui est accordée plus pour des raisons passionnelles que rationnelles. La preuve : le peuple ne cherche pas la vérité sur les actions politiques, mais le bien-être et la sécurité avant tout. Et s’il faut utiliser le mensonge, l’illusion, pour y parvenir eh bien… peu importe les moyens, ce qui compte, c’est la fin.
Quoi ? Le Prince joue avec les sentiments du peuple ?
Eh oui ! Gouverner des hommes, c’est aussi s’assurer de leur confiance et de leur loyauté. Mais, pour obtenir et conserver cette confiance, Machiavel explique que le Prince a deux moyens très différents à sa disposition :
- La raison = faire comprendre aux hommes pourquoi il agit ainsi et quelles en sont les causes rationnelles
- Le recours à l’affectif = utiliser les passions du peuple pour gouverner
Machiavel va même plus loin : il affirme que le pouvoir du Prince n’est pas fondé sur un accord raisonnable entre les hommes, mais sur le jeu des passions humaines que le Prince doit maîtriser parfaitement s’il veut assurer sa domination.
Autrement dit, on ne gouverne pas les hommes par la raison mais par les sentiments. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, Machiavel montre que le sentiment que le prince doit s’efforcer de susciter chez ses sujets n’est pas l’amour, mais LA CRAINTE.
Gouverner, c’est mettre vos sujets hors d’état de vous nuire et même d’y penser. – Machiavel
Et en plus de ça, le peuple doit avoir peur du Prince ?
Pour Machiavel, l’amour ne peut être un mobile efficace pour inciter les hommes à obéir à leur souverain. D’abord parce que l’amour est un sentiment trop changeant, et ensuite, parce que l’amour du peuple envers son souverain ne peut être qu’un attachement purement intéressé, et donc précaire. Il est alors impossible de fonder là-dessus une obéissance ferme et constante.
De plus, comme Machiavel part du postulat que les hommes sont par nature vicieux, mauvais, intéressés, et incapables de bien se tenir ; il faut une puissance, un pouvoir extérieur, souvent violent et cruel, pour les faire obéir. D’où la nécessité pour le Prince d’être craint par ses sujets, sinon son pouvoir s’effondre — on entre dans le laxisme, le laisser aller, et plus personne n’accepte de se soumettre à l’autorité du Prince. Alors qu’au contraire, ne pas être aimé n’empêche pas l’action politique.
Mais attention, autorité n’est pas synonyme de cruauté gratuite…
Même s’il est certes plus facile de se faire obéir lorsque l’on est craint, il ne faut pas que cette crainte installe un climat de terreur permanente, car la stabilité de l’État serait menacée. Il revient alors au Prince de trouver un juste équilibre, et son atout n°1, c’est la loi. Toutes les actions du Prince doivent être justifiées par la loi — ou du moins en donner l’illusion.
Alors oui, certes, par ses fonctions, le Prince va nécessairement faire couler du sang. Mais les sanctions décidées par le Prince ont force de loi : elles ont pour elles la légitimité du pouvoir politique qui ne doit agir qu’en vue du bien commun, et jamais pour satisfaire des intérêts particuliers.
Par exemple, si le Prince décide de la mise à mort d’un de ses sujets, il doit le faire en respectant la justice, c’est-à-dire en apportant les preuves de la culpabilité de l’individu en question — ouais, c’est glauque.
Car c’est en paraissant juste, respectueux et soucieux du bien commun de ses sujets que le Prince remporte sa légitimité et l’obéissance du peuple.
Pour finir…
C’est sa lucidité et son analyse pertinente des rapports humains qui font de Machiavel le fondateur de la philosophie politique moderne. En dissociant morale et politique, Machiavel bouleverse les codes de l’époque en prônant, sans langue de bois, le nécessaire usage de la violence, de la ruse et de la manipulation en politique.
Alors certes, ce n’est pas très glorieux, ça frôle même l’immoralité ; mais morale et pouvoir n’ont jamais été vraiment compatibles — sinon le monde serait en paix et personne ne ferait la guerre.
Ce n’est donc pas par hasard si de grands chefs d’État comme Napoléon, Churchill, Mitterrand ou De Gaulle se sont inspirés de la philosophie de Machiavel lorsqu’ils étaient au pouvoir… Et maintenant, vous savez pourquoi.
8 Commentaires
Edem
29 novembre 2016 à 19 h 23 minPourquoi dites vous que c’est in gentil, machiavel?
Doria
1 décembre 2016 à 13 h 49 minBonjour Edem,
Je sais, après avoir lu l’article, ça peut paraître étrange de lire que « Machiavel est gentil ».
Pour comprendre, retournons en Italie à l’époque de Machiavel. Nous sommes donc à Florence, en pleine Renaissance. L’Italie est le pays le plus riche d’Europe, mais un seul souci la menace : la guerre, parce que sa politique est instable. À ce moment là, Machiavel ne veut qu’une chose : servir son pays. Passionné de politique, il devient donc Chancelier (ministre des affaires étrangères chez nous) et passe 14 ans de sa vie à voyager et à analyser les différentes politiques d’Europe. Après cela il est forcé de quitter la politique : il est emprisonné, torturé car soupçonné de trahison. Il passera le restant de sa vie à écrire des livres d’analyses politiques, tirés de sa propre expérience.
Machiavel n’est donc qu’un serviteur de son pays, avec une ambition politique qui lui a été vite retirée. Toute la noirceur autour de son nom vient simplement de la cruauté et du cynisme présents dans son oeuvre. Mais ça, ce n’est pas lui, ce sont juste les faits politiques de l’époque et les constats qu’il en a tirés.
J’espère avoir pu vous éclairer davantage !
À bientôt,
Doria
Thierry Winder
14 mars 2017 à 13 h 23 minBonjour, cet article m’a plu;
Il devient de plus en plus clair que les lois ne peuvent plus être comprises par les citoyens.
Machiavel serait surpris de voir que l’état se maintient malgré les dérives incessantes permises par les lois et les différences de traitement entre les cols blancs et les « voyous ». En effet le précepte du code pénal « la loi est la même pour tous » est bafoué de façon tellement courante que c’est presque devenu normal (exemples: le comportement des politiques ou des banquiers; les lois qui se contredisent, la non application de certaines…… ).
Mais je me rassure en pensant que Machiavel a bien raison lorsqu’il explique que paraître juste maintient au pouvoir. L’illusion de la justice tombe et le pouvoir ne devrait plus tarder à faire de même.
Ceci n’est même pas un appel à la révolution ; juste un constat.
Doria Messaoudene
7 août 2017 à 18 h 32 minMerci Thierry pour votre commentaire très intéressant !
Vous avez raison, en matière de pouvoir, tout se joue (malheureusement) dans l’illusion…
À bientôt 🙂
Doria
Thierry Winder
4 octobre 2019 à 8 h 20 minBonjour, cet article m’a plu;
Il devient de plus en plus clair que les lois ne peuvent plus être comprises par les citoyens.
Machiavel serait surpris de voir que l’état se maintient malgré les dérives incessantes permises par les lois et les différences de traitement entre les cols blancs et les « voyous ». En effet le précepte du code pénal « la loi est la même pour tous » est bafoué de façon tellement courante que c’est presque devenu normal (exemples: le comportement des politiques ou des banquiers; les lois qui se contredisent, la non application de certaines…… ).
Mais je me rassure en pensant que Machiavel a bien raison lorsqu’il explique que paraître juste maintient au pouvoir. L’illusion de la justice tombe et le pouvoir ne devrait plus tarder à faire de même.
Ceci n’est même pas un appel à la révolution ; juste un constat.
Doria Messaoudene
4 octobre 2019 à 11 h 59 minMerci Thierry pour votre commentaire très intéressant !
Vous avez raison, en matière de pouvoir, tout se joue (malheureusement) dans l’illusion…
À bientôt 🙂
Doria
Doria
4 octobre 2019 à 8 h 29 minBonjour Edem,
Je sais, après avoir lu l’article, ça peut paraître étrange de lire que « Machiavel est gentil ».
Pour comprendre, retournons en Italie à l’époque de Machiavel. Nous sommes donc à Florence, en pleine Renaissance. L’Italie est le pays le plus riche d’Europe, mais un seul souci la menace : la guerre, parce que sa politique est instable. À ce moment là, Machiavel ne veut qu’une chose : servir son pays. Passionné de politique, il devient donc Chancelier (ministre des affaires étrangères chez nous) et passe 14 ans de sa vie à voyager et à analyser les différentes politiques d’Europe. Après cela il est forcé de quitter la politique : il est emprisonné, torturé car soupçonné de trahison. Il passera le restant de sa vie à écrire des livres d’analyses politiques, tirés de sa propre expérience.
Machiavel n’est donc qu’un serviteur de son pays, avec une ambition politique qui lui a été vite retirée. Toute la noirceur autour de son nom vient simplement de la cruauté et du cynisme présents dans son oeuvre. Mais ça, ce n’est pas lui, ce sont juste les faits politiques de l’époque et les constats qu’il en a tirés.
J’espère avoir pu vous éclairer davantage !
À bientôt,
Doria