Schopenhauer, c’est l’histoire d’un philosophe allemand qui a une étrange coupe de cheveux. Mais laissons son coiffeur en dehors de ça, car en réalité, Schopenhauer est davantage connu pour sa philosophie pessimiste que pour ses cheveux en bataille.
Comme je le disais, Schopenhauer n’est pas un homme très heureux. Sa noirceur lui vient de sa profonde lucidité des comportements humains, sa sombre analyse de l’homme et de la société en général. Pour lui, nous vivons dans « le pire des mondes possibles », nous sommes tous condamnés à la souffrance et prisonniers de l’illusion du bonheur.
Alors, si vous faites partie de ces éternels insatisfaits toujours en quête du bonheur, vous allez enfin comprendre grâce à Schopenhauer, pourquoi la route du bonheur est si tumultueuse.
D’abord, le bonheur c’est quoi ?
Le bonheur on le cherche en permanence. Mais est-ce qu’on s’est posé 5 minutes pour savoir après quoi on court réellement ?
On croit tous qu’il y a deux façons d’être heureux : d’abord en satisfaisant ses désirs, ensuite en profitant des bons moments en famille, entre amis, etc.
Pourtant, Schopenhauer nous dit que ces deux voies censées mener au bonheur sont des impasses car elles nous condamnent à l’inquiétude et à l’insatisfaction. Son pessimisme commence ici. Mais d’où vient-il ? Du bouddhisme.
À dix-sept ans, je fus saisi par la détresse de la vie comme le fut Bouddha dans sa jeunesse, lorsqu’il découvrit l’existence de la maladie, de la vieillesse, de la souffrance et de la mort. — Schopenhauer
Bouddha enseigne que toute vie est souffrance et que cette souffrance est liée aux désirs insatisfaits des hommes. Schopenhauer, influencé et touché par le bouddhisme, reprend cette idée pour développer davantage sa pensée.
Pourquoi on est toujours insatisfait ?
Parce qu’on pense tous que le bonheur viendra demain. On se dit que l’on sera heureux uniquement après avoir rencontré l’âme soeur, après avoir acheté une maison, après avoir le métier de nos rêves… Bref, on imagine qu’obtenir ce que l’on souhaite nous permettra d’être heureux.
Alors on passe toute sa vie à préciser nos objectifs à atteindre. Et une fois que l’on a conjoint, maison et métier épanouissant… Eh bien de nouveaux objectifs apparaissent : voyager, déménager, trouver de nouvelles passions, avoir des enfants, prendre du temps pour soi, faire réussir ses enfants à l’école…
À croire que nos premiers objectifs n’ont pas suffit à nous rendre heureux… ou du moins, il semble que le bonheur espéré était de courte durée.
Avant tout, nul être humain n’est heureux. Il aspire sa vie entière, à un prétendu bonheur qu’il atteint rarement, et quand il l’atteint, c’est seulement pour être déçu.
Mais en règle générale, chacun finit par rentrer au port après avoir fait naufrage… — Schopenhauer
C’est pour cela que nous sommes en permanence profondément insatisfaits. Dès que l’on croit s’approcher du bonheur, il disparaît. Et nous, on est là, on dépense une énergie folle à créer des projets en espérant qu’il reviendra. Mais au final, le bonheur reste insaisissable, car il est toujours à venir.
Notre corps et notre esprit sont incapables de saisir le bonheur
Certains diront qu’ils sont heureux car ils savent se satisfaire des petits bonheurs et de l’instant présent (le fameux « carpe diem »)…
Mais pour Schopenhauer, cela est impossible. Notre organisme n’est, selon lui, pas conçu pour cela. Nous ne sentons pas le bonheur car « nous sentons la douleur mais non l’absence de douleur ». Ainsi, selon Schopenhauer, le bonheur est négatif, dans la mesure où il se définit comme une absence : absence de souffrances, d’inquiétudes, etc.
Pour comprendre, un exemple : vous venez de vous couper le doigt avec une feuille en papier. Savez-vous pourquoi vous restez focalisé pendant mille ans sur une minuscule coupure alors que tout votre corps va bien ?
Tout simplement, parce que nous sentons la douleur de notre doigt, et nous sommes incapables de sentir la bonne santé générale de notre corps — votre intestin grêle ne vous envoie pas de signe pour vous dire qu’il va parfaitement bien.
Et c’est pareil dans notre quotidien. Plutôt que d’apprécier notre vie confortable et le bonheur que cela procure, nous sommes chagrinés par la tache de vin rouge sur le canapé acheté récemment… Sans voir que nous avons autour de nous tout ce qu’il nous faut.
Vous l’aurez compris, on ne perçoit pas le bonheur. Seuls la souffrance, les obstacles, les petites contrariétés éveillent notre attention. Mais pas le bonheur. Voilà ce que nous dit Schopenhauer.
On est heureux seulement quand c’est trop tard
Alors oui, dire que l’on a toujours été malheureux serait mentir. Il nous est tous arrivé d’être heureux. Mais, selon Schopenhauer, nous nous rendons compte a posteriori que nous avons été heureux.
Évidemment, sur le coup, il peut nous arriver d’avoir conscience de passer un bon moment, mais le problème c’est qu’il existe toujours en nous une tension vers l’avenir, et une tension due à la fragilité du moment.
Exemple : vous passez une super soirée entre amis. Mais, au lieu de profiter du moment, vos pensées sont tournées soit vers l’avenir : « qu’est-ce qu’on va manger au resto ? », « Dans quel bar on ira après ? », « Est-ce qu’on rentrera en taxi ou à pied ? » ; soit vers l’instant présent : « Est-ce que je vais avoir mal à la tête si je reprends un verre de vin ? », « J’ai mal aux pieds dans ces chaussures ».
Ces questions que l’on se pose sans cesse quand on vit un bon moment, c’est ce que Schopenhauer appelle des tensions. Ces mauvaises pensées envahissent en permanence notre esprit et nous détournent du bonheur, et il nous est alors impossible de profiter du moment présent.
Conséquence : c’est seulement le lendemain que vous vous direz : « ah mais, j’ai passé une super soirée hier, j’étais tellement heureux de revoir mes amis ! »
Le bonheur est donc derrière nous quand nous le découvrons, et nous sommes toujours heureux quand il est trop tard. Pour Schopenhauer, le bonheur est donc toujours passé ou à venir, car le présent est finalement insaisissable.
Alors comment on fait pour être heureux ?
Ok, le bilan à l’air bien triste. Mais ne vous inquiétez pas Schopenhauer a une solution.
Même s’il ne croit pas au bonheur, car rappelons-le, la vie n’est que souffrances, déceptions et frustrations… Schopenhauer nous invite à reprendre le contrôle de notre existence. Le but ? Mieux gérer notre vie, et éviter ainsi de s’infliger des souffrances inutiles (en arrêtant de désirer des trucs impossibles à obtenir par exemple).
Selon Schopenhauer, le vrai bonheur consiste à travailler à la destruction de nos souffrances, et non à la recherche permanente du plaisir. Pour être heureux, nous devons nous contenter de ce que l’on a, repousser nos désirs inutiles et nous satisfaire des joies simples que nous offre la vie.
Pour finir…
Si malgré tout, vous souhaitez continuer votre quête du bonheur, Schopenhauer peut vous aider. Figurez-vous, qu’à sa mort, on a retrouvé dans ses notes personnelles un manuscrit intitulé L’Art d’être heureux.
Dans ce manuscrit publié posthume, Schopenhauer présente « 50 règles de vie » susceptibles de rendre la vie la moins pénible possible. Et en voici quelques unes :
« Attends-toi au pire, et tu t’en trouveras bien quand le malheur arrivera. »
« Le bonheur appartient à ceux qui se suffisent à eux-mêmes. »
« Tu ne seras jamais heureux tant que tu seras torturé par un plus heureux. »
(Si le livre vous intéresse, c’est par ici)
28 Commentaires
Ndeye Astou
29 novembre 2016 à 12 h 34 minMerci pour votre article!
Pourrait-on retenir qu’il ne faut rien s’attendre de la vie et essayer de vivre au jour le jour et même survivre du moment où le bonheur est le silence du malheur (d’après Jules Renard) ou tout prendre positivement?
Doria
3 octobre 2019 à 21 h 51 minBonjour Ndeye !
Merci pour votre commentaire !
Pour répondre à votre question, je dirais que les points de vues sont différents.
Contrairement à J. Renard, Schopenhauer nous dit que nous ne « sentons » pas le bonheur. Autrement dit, notre corps et notre cerveau ne savent pas s’arrêter pour profiter pleinement du moment de bonheur que nous vivons. C’est seulement avec du recul qu’on réalise que l’on a été heureux.
Pour autant, Schopenhauer est loin de nous dire qu’il ne faut rien attendre de la vie, au contraire, il nous invite à nous débarrasser de nos souffrances intérieures pour reprendre notre vie en main (arrêter de désirer sans cesse ce que nous ne pouvons avoir par exemple)… Et c’est comme cela que nous parviendrons à être heureux.
J’espère avoir répondu à votre question, n’hésitez pas à m’écrire si vous avez d’autres interrogations 🙂
À bientôt,
Doria
Doria
2 décembre 2016 à 11 h 57 minBonjour Ndeye !
Merci pour votre commentaire !
Pour répondre à votre question, je dirais que les points de vues sont différents.
Contrairement à J. Renard, Schopenhauer nous dit que nous ne « sentons » pas le bonheur. Autrement dit, notre corps et notre cerveau ne savent pas s’arrêter pour profiter pleinement du moment de bonheur que nous vivons. C’est seulement avec du recul qu’on réalise que l’on a été heureux.
Pour autant, Schopenhauer est loin de nous dire qu’il ne faut rien attendre de la vie, au contraire, il nous invite à nous débarrasser de nos souffrances intérieures pour reprendre notre vie en main (arrêter de désirer sans cesse ce que nous ne pouvons avoir par exemple)… Et c’est comme cela que nous parviendrons à être heureux.
J’espère avoir répondu à votre question, n’hésitez pas à m’écrire si vous avez d’autres interrogations 🙂
À bientôt,
Doria
Franck
3 octobre 2019 à 21 h 51 minEh bien, un joyeux drille ce Schopenhauer ! Il devait être sympa en soirée…
Enfin bref, en tant qu’éternel insatisfait et grand anxieux, je comprends parfaitement sa façon de voir les choses. Le bonheur paraît souvent comme éphémère, et on se rend compte de la valeur des choses que quand on les perd.
En tout cas, ce que je trouve sympa c’est que malgré sa manière hyper pessimiste d’appréhender les choses, le mec écrit quand même discrètement « L’art d’être heureux »… comme quoi même si le bonheur n’existe pas on le cherche quand même 🙂
En tout cas super article ! Merci !
Franck.
Doria
4 octobre 2019 à 6 h 15 minMerci pour votre commentaire et pour votre enthousiasme Franck !
À bientôt !
Doria
Franck
5 décembre 2016 à 21 h 55 minEh bien, un joyeux drille ce Schopenhauer ! Il devait être sympa en soirée…
Enfin bref, en tant qu’éternel insatisfait et grand anxieux, je comprends parfaitement sa façon de voir les choses. Le bonheur paraît souvent comme éphémère, et on se rend compte de la valeur des choses que quand on les perd.
En tout cas, ce que je trouve sympa c’est que malgré sa manière hyper pessimiste d’appréhender les choses, le mec écrit quand même discrètement « L’art d’être heureux »… comme quoi même si le bonheur n’existe pas on le cherche quand même 🙂
En tout cas super article ! Merci !
Franck.
Doria
6 décembre 2016 à 10 h 38 minMerci pour votre commentaire et pour votre enthousiasme Franck !
À bientôt !
Doria
Adlène Beddiar
15 décembre 2016 à 18 h 47 minExcellent article. Seulement, je ne laisserais pas vraiment entendre que Schopenhauer fut durant toute sa vie un pessimiste radical. Il est vrai que dans un premier temps le pessimisme a pris une majeure partie de sa pensée, mais c’était un pessimisme provisoire – un peu comme le doute de Descartes, qui sera dépassé par la suite, toujours sur ce même fond pessimiste, par un véritable art du bonheur.
Doria
19 décembre 2016 à 10 h 51 minTout à fait d’accord avec vous Adlène !
Merci pour votre commentaire !
Doria
Simon Ravau
23 mai 2017 à 21 h 07 min« Le bonheur n’est q’une forme d’auto-persuasion et d’évitement de la réalité »
J’avais déjà lu pas mal à propos de Schopenhauer et en cogitant ce soir, j’ai pondu cette petite phrase et l’ai introduite dans le moteur de recherche google pour finir ici ! ^^
« Le bonheur appartient à ceux qui se suffisent à eux-mêmes. »
Je ne connaissais pas celle-ci mais elle sonne tellement vraie que j’approuve !
Doria Messaoudene
7 août 2017 à 18 h 25 minBien vu Simon ! Et merci pour votre commentaire 🙂
Doria
RICHARD
3 octobre 2019 à 21 h 51 minBien vu. Langage clair. La compréhension s’en trouve facilitée.
RICHARD
8 juin 2017 à 14 h 17 minBien vu. Langage clair. La compréhension s’en trouve facilitée.
Doria Messaoudene
7 août 2017 à 18 h 25 minUn grand merci Richard 🙂
Cdy
22 septembre 2017 à 10 h 29 minVotre article est très intéressant ! Et d’ailleurs tous les autres aussi.
Il a soulevé une question en moi que je me suis posée il y a déjà longtemps de ça.. Le rapport à la philosophie de Schopenhauer est peut-être indirect mais puisque cette question m’est réapparue j’ose vous la partager.
La question est : Pour être bien ailleurs, faut-il être mal quelque part ?
Je suis curieuse de lire ce que cette question peut susciter comme réponse. Si jamais elle est lue.
A bientôt,
Cindy
Lip Montaigne
30 janvier 2018 à 11 h 27 minTrès bel article de Schopenhauer, bien traité et exemplifié, bravo, !!
Dommage peut être de ne pas avoir parlé de son fameux aphorisme » la vie oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui ». Souffrance, car le désir est la souffrance d’un manque et l’ennui car lorsque nous satisfaisons nos désirs, lassitude s’installe ensuite, comme le dit son « éternelle insatisfaction ».
Mais je comprends tout a fait que sélectionner toutes ses belles paroles est chose difficile 🙂
Doria Messaoudene
12 avril 2018 à 14 h 52 minMerci beaucoup pour votre gentil commentaire 🙂
En effet, difficile de choisir parmi tous ces beaux aphorismes de Schopenhauer. Il faut vraiment tout lire !
Merci encore,
Doria
buli
3 octobre 2019 à 21 h 51 minMouais… donc quand je suis heureux, je ne vis pas dans le bonheur, c’est en fait une leurre? peut-être que sa définition du terme diffère, peut-être que ce monsieur n’a jamais été heureux dans sa vie, mais je pense que le bonheur dépend avant de la façon dont on voit les choses. peut-être que quand on est philosophe on a une approche totalement différente de la vision du monde. mais il est vrai qu’une personne intelligente voire limite un surdoué, aura souvent tendance à avoir plus de mal à être heureux
buli
25 mars 2019 à 15 h 45 minMouais… donc quand je suis heureux, je ne vis pas dans le bonheur, c’est en fait une leurre? peut-être que sa définition du terme diffère, peut-être que ce monsieur n’a jamais été heureux dans sa vie, mais je pense que le bonheur dépend avant de la façon dont on voit les choses. peut-être que quand on est philosophe on a une approche totalement différente de la vision du monde. mais il est vrai qu’une personne intelligente voire limite un surdoué, aura souvent tendance à avoir plus de mal à être heureux
Adlène Beddiar
3 octobre 2019 à 21 h 51 minExcellent article. Seulement, je ne laisserais pas vraiment entendre que Schopenhauer fut durant toute sa vie un pessimiste radical. Il est vrai que dans un premier temps le pessimisme a pris une majeure partie de sa pensée, mais c’était un pessimisme provisoire – un peu comme le doute de Descartes, qui sera dépassé par la suite, toujours sur ce même fond pessimiste, par un véritable art du bonheur.
Doria
4 octobre 2019 à 6 h 15 minTout à fait d’accord avec vous Adlène !
Merci pour votre commentaire !
Doria
Simon Ravau
3 octobre 2019 à 21 h 51 min« Le bonheur n’est q’une forme d’auto-persuasion et d’évitement de la réalité »
J’avais déjà lu pas mal à propos de Schopenhauer et en cogitant ce soir, j’ai pondu cette petite phrase et l’ai introduite dans le moteur de recherche google pour finir ici ! ^^
« Le bonheur appartient à ceux qui se suffisent à eux-mêmes. »
Je ne connaissais pas celle-ci mais elle sonne tellement vraie que j’approuve !
Ndeye Astou
3 octobre 2019 à 21 h 51 minMerci pour votre article!
Pourrait-on retenir qu’il ne faut rien s’attendre de la vie et essayer de vivre au jour le jour et même survivre du moment où le bonheur est le silence du malheur (d’après Jules Renard) ou tout prendre positivement?
Cdy
4 octobre 2019 à 7 h 51 minVotre article est très intéressant ! Et d’ailleurs tous les autres aussi.
Il a soulevé une question en moi que je me suis posée il y a déjà longtemps de ça.. Le rapport à la philosophie de Schopenhauer est peut-être indirect mais puisque cette question m’est réapparue j’ose vous la partager.
La question est : Pour être bien ailleurs, faut-il être mal quelque part ?
Je suis curieuse de lire ce que cette question peut susciter comme réponse. Si jamais elle est lue.
A bientôt,
Cindy
Lip Montaigne
4 octobre 2019 à 23 h 44 minTrès bel article de Schopenhauer, bien traité et exemplifié, bravo, !!
Dommage peut être de ne pas avoir parlé de son fameux aphorisme » la vie oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui ». Souffrance, car le désir est la souffrance d’un manque et l’ennui car lorsque nous satisfaisons nos désirs, lassitude s’installe ensuite, comme le dit son « éternelle insatisfaction ».
Mais je comprends tout a fait que sélectionner toutes ses belles paroles est chose difficile 🙂